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Les Origines : Medb

Aethryth

Chapitre 1

Chapitre 1

Medb savait que des milliers de jeunes filles en Irlande rêvaient d'être à sa place. Encore que des milliers semblait un bien faible mot sachant que la réputation de son « compagnon » et mari, aux yeux humains, s'étendait bien au-delà des frontières de son pays natal. Cela faisait maintenant trois ans qu'elle avait été liée à l'homme qui remuait dans son sommeil, juste à côté d'elle. Il avait la réputation d'être le plus beau parti de l'Irlande, ce cher Conchobar Mac Nessa. Un colosse au corps athlétique et aguerri de guerrier, musclé par l'escrime et les courses sous forme de loup-garou. Le roi de l'Ulster et l'Alpha incontesté de la meute vivant sur ce territoire. Béni des dieux, ou du moins, par la plupart d'entre eux, ces satanés faes étaient tous pourris jusqu'à l'os de toute façon. Ses longues boucles blondes s'étalaient sur le drap brodé, sali de transpiration entre autres, lui donnant des airs d'ange chrétien avec ses yeux, normalement d'un bleu céruléen qui étaient clos.

Ce loup, un Ancien, tout comme elle, malgré leur différence d'âge relevant de trois siècles, était beau. Il était probablement l'être le plus fort de toute l'hémisphère Nord si l'on ignorait les quelques survivants de la Tribu de Dana. Et pourtant, Medb, nue et le corps transpirant, les lèvres mordues jusqu'aux sang et le regard posé sur le plafond ne rêvait que de lui tordre le cou.

 

A la place, sachant que son absence à son réveil ne le gênerait pas (ce n'était pas comme si elle avait la moindre chance de s'échapper de ces terres, il était bien trop dominant pour qu'elle s'imagine passer outre son engagement de compagne), elle se leva, ne prenant même pas la peine de se couvrir pour sortir de la chambre principale du château.

 

Il devait être un peu plus de trois heures du matin, songea-t-elle, goûtant avec soulagement la morsure du froid sur son corps brûlant et sale. La louve ne savait même pas si elle avait réellement envie de rejoindre la présence réconfortante de ses deux sœurs dans leur chambre commune. Retourner dans la chambre serait se confronter à la rancune de Mugain, Mugain qui se refusait à voir que Conchobar se moquait éperdument de ses compagnes et qui nourrissait un amour sans limite pour l'Alpha. Ou croiser le regard d'Eithne qui perdait de jour en jour son éclat tandis que son ventre grossissait.

 

Medb avait été la première des quatre fiancées à tomber enceinte. Son fils, Amalgad avait si vite disparu de sa vie qu'elle n'avait pas eu le moindre sentiment pour le nourrisson. Conchobar la violait à chaque fois, comment aurait-elle pu avoir le moindre amour pour un nourrisson qui ne représentait que sa faiblesse pour ne pas être assez forte pour résister physiquement ou ne serait-ce que moralement à l'Alpha d'Ulster ? Bien sûr, elle aurait pu le tuer. Sauf que l'enfant n'était pas responsable des actes de son père et de la faiblesse de sa mère.

 

Sa sœur jumelle, Clothru, qui des quatre filles qu'avait épousé Conchobar était la seule à ne pas être louve, mais était née fae, avait disparu juste après avoir donné naissance à son fils, Cormac Coloinges. Evidemment, Medb s'était sentie trahie, mais surtout, elle avait été soulagée. Sa sœur jumelle, malgré leur ressemblance physique était fragile, bien plus fragile qu'elle. La folie couvait dans ses yeux dans le mois qui avait précédé sa disparition.

 

Pour une fois, leur mère, bien différente de Cloithfinn, celle de Mugain et Eithne, avait agi intelligemment. Même si cela avait signifiait la colère de Conchobar et ses répercussions sur les trois louves restantes. Mugain était soumise, malgré la stupidité de Conchobar et son manque certain de respect pour elles, il ne lèverait jamais la main sur elle. Eithne était plus dominante que Medb, sa louve, tout comme celle de sa sœur était une Alpha née. En revanche, l'aînée aux longs cheveux blonds vénitiens n'avait jamais aimé les conflits. Ainsi, elle avait tout encaissé en se dressant contre Conchobar.

 

Oh, elle était forte, certes, mais la dominance de sa louve ne remplaçait pas la puissance d'un combattant. Ce jour-là, Conchobar avait brisé quelque chose chez sa sœur. Sauf qu'Eithne avait permis cela parce qu'elle avait bon fond, elle protégeait et aimait. La violence n'avait pas sa place pour elle. Si elle avait été humaine, cela aurait suffi. Sauf qu'elle était une Ancienne, une louve Alpha capable de porter des héritiers forts. Sa sœur, des quatre à avoir été échangées en guise d'éric, de tribu du sang, par leur père, le Haut-Roi d'Irlande, aurait été celle qui aurait eu la plus grande facilité à échapper au pouvoir de l'Alpha d'Ulster.

 

Sauf qu'Eithne ne se battait pas, elle encaissait juste.

 

- Vous devriez aller dans votre chambre, Ô Reine.

 

Medb posa son regard acéré, deux prunelles d'un vert où se mélangeaient le gris et l'ambre, d'une couleur rappelant la couleur des plaines d'Irlande en Automne, sur le nouvel arrivant. Bricriu était un oméga, un fauteur de trouble pour n'importe quelle meute. Il puait la malveillance et rendait leurs loups intérieurs nerveux. Juste par la fait qu'il semait cette zizanie dans la meute d'Ulster, Medb ne pouvait pas entièrement le détester. Le barde n'était pas beaucoup plus grand qu'elle, il avait un corps fin et une musculature nerveuse. Le corps couvert d'une cape d'un velours probablement bleu de ce qu'elle pouvait constater dans la lumière nocturne, ses cheveux courts et châtains étaient tirés vers l'arrière et noués en queue de cheval sur sa nuque.

Il avait la décence de la regarder dans les yeux mais bien longtemps avant, elle avait senti son regard noisette glisser sur elle alors qu'il s'approchait. Bricriu était parfaitement conscient des pensées de Medb, tout comme il savait qu'un peu plus tôt, elle avait partagé son lit et couché avec Conchobar. Le lien de Meute, tout comme les odeurs qui collaient à sa peau ne pouvaient mentir à un autre loup-garou.

 

- Garde tes conseils pour les jeunes louves de la meute, je ne risque plus rien, ricana-t-elle, amère.

 

Pour s'être battue tout au long de sa première année dans le palais, Medb avait affirmé sa place dans la meute à coup de crocs et de griffes plutôt qu'en se reposant sur la place que lui offrait son mariage avec l'Alpha. Elle voulait savoir qui serait un obstacle si un jour, l'occasion de rompre le contrat se présentait. Seuls quatre loups, Conchobar exceptés étaient véritablement une menace pour elle. Fergus Mac Roeig, le Bêta premier, Connal dit le Triomphateur, fils d'Amorgen, le Bêta en second  et Loegairé le Vainqueur, le vieil Exécuteur à moitié fou de la meute. Il y avait aussi Catbad, le père de Conchobar, il se disait Solitaire, mais Medb ne s'était jamais faite d'illusion.

Sur le plan de la dominance, elle leur était à peine supérieure. Physiquement, en revanche, qu'elle soit sous forme humaine ou non, ils auraient sa peau, ils avaient plusieurs siècles à leur actif tandis qu'elle n'en avait pas vécu un seul. Autant de bataille et de tueries qui en faisaient des guerriers et des tueurs formidables. Oh oui, Medb savait n'avoir aucune chance contre l'un d'eux.

 

- Notre roi serait bien attristé s'il t'arrivait malheur, se contenta de souligner Bricriu.

 

Oh oui, tente de me tuer, amuse-moi un petit peu avant que l'autre taré ne me tue lorsque je l'aurais asticoté suffisamment, songea avec amusement la belle femme aux longues boucles auburn qui drapaient son corps dénudés, descendant dans une cascade bronze jusqu'à ses genoux.

 

- Le malheur des uns fait le bonheur des autres, Bricriu, ce n'est pas à un oméga que je vais apprendre cela, ricana-t-elle.

 

Le loup eut un sourire, inclinant la tête en prenant garde à ne pas croiser son regard. Il la craignait, parce qu'il savait qu'elle n'aurait aucun regret à le tuer si l'envie l'en prenait, qu'elle ait une raison pour ou non. Bricriu se méfiait d'elle, ils se méfiaient tous d'elle en vérité dans la meute d'Ulster. Si Mugain et Eithne étaient aimées pour leur grande beauté et leur douceur, ils haïssaient tous Medb et elle le leur rendait bien. Son prénom signifiait « celle qui étouffe » et à la manière d'un lierre sur un chêne ancestrale et solide qu'était la meute de Conchobar, sa haine, son ressentiment et sa colère gangrenaient le tout.

Lui tournant finalement le dos, Medb traversa le long hall, désert pour rejoindre le second palais où dormaient ici et là entassés sur des lits ou à même le sol sur des fourrures, des loups, des humains et des faes. Sous quelques formes que cela soit d'ailleurs.

 

Sur la pointe des pieds, prenant garde à ne pas réveiller quelque désagréable saoulard ou être plein de ressenti envers sa simple et prodigieuse existence, la louve entra dans la pièce pleine de richesse que ses deux sœurs et elle-même partageaient.

 

Elle pouvait sentir la colère de Mugain, pareille à de l'électricité statique dirigée vers elle tandis que la belle femme aux traits normalement pleins de douceurs se tournaient de manière à présenter son dos à sa sœur cadette. Une truffe froide se posa sur la cuisse de Medb qui baissa la tête, saluant d'une caresse la tête massive de la louve grise aux yeux ambrés qui s'était approchée d'elle. Eithne au moins ne lui en voulait pas, elle était juste reconnaissante que Medb n'ait aucun os brisé, contrairement au jour de sa nuit de noces.

 

Oh oui, ce jour-là, Conchobar Mac Nessa avait compris que toutes les femmes d'Irlande n'étaient pas enchantées de partager leur couche avec lui.

 

Jetant un coup d'œil au lit à baldaquin vide et aux draps faits qui avait un temps abrité le corps frêle de sa sœur jumelle, Medb soupira en avançant vers sa propre couche, accompagnée de sa sœur.

 

La nuit, du moins quand elle n'était pas appelée à remplir ses devoirs d'épouse, Eithne prenait toujours la forme de l'animal et Medb la soupçonnait même de laisser l'animal aux commandes bien qu'elle se garda d'en faire la moindre remarque. Oh bien sûr, il aurait fallu signaler le problème, laisser le loup prendre le pas sur l'humain était tabou que cela soit chez les loups-garous mordus ou même les Anciens. C'était tabou parce qu'il n'y avait pas plus dangereux. Le loup se moquait bien des dommages collatéraux et n'avait pas de conscience. Evidemment, tout le monde ne pouvait pas vivre avec du sang innocent sur les mains. Et en théorie, personne ne devait le faire. En revanche, la jeune louve se moquait bien de ce qui pouvait arriver à qui que ce soit sur le territoire de l'Ulster. Des innocents ? Des guerres, même si elles n'impliquaient pas forcément d'êtres surnaturels, en tuaient également.

 

*

Être la fille d'Eochaid Fedleach signifiait énormément. Déjà, cela signifiait que Medb et ses sœurs étaient les princesses titulaires de la royauté d'Irlande. Cela signifiait aussi  qu'elles étaient désirées. A chaque fois qu'elle passait dans la cour, vêtue d'une des belles robes brodées de fils d'or ou d'argent, la louve pouvait le sentir dans l'air, ce désir masqué des autres mâles de la meute. Eithne était dominante et impressionné tous, Mugain était une soumise, leur priorité était de la protéger et elle permettait d'apaiser Conchobar. Medb, elle, elle était un obstacle au fonctionnement de la Meute. Un obstacle qui malgré tout éveillait suffisamment l'intérêt de l'Alpha pour qu'il ait clairement signifier qu'il n'accepterait pas que qui que ce soit ne touche à cheveux de la louve, autrement que si elle le faisait lors d'un défi pour la meute. Alors oui, ils la haïssaient et la désiraient tellement que s'en était des plus risibles.

 

-  Medb, tiens-toi un peu, siffla Mugain à côté d'elle tandis que Medb finissait de poser un regard séducteur sur un jeune loup, un garde dont elle ignorait jusqu'au nom, qui détourna le regard, rougissant.

 

Les deux sœurs, assises sur les rebords d'une fontaine intérieure de la cour formaient un contraste des plus intéressants. Mugain était d'une grande beauté, sa peau d'une pâleur fantomatique était rehaussée par le tissu grenat de sa robe de velours brodée d'or. Ses longs cheveux blonds et nattes formaient une tresse dorée décorée de fleur qui reposait sur le rebord elle aussi, s'allongeant jusqu'à effleurer le sol dallé. Ses paupières humblement baissées, ses yeux gris perles étaient concentrés sur sa pièce de broderie.

 

Medb, son teint légèrement doré par toute les fois où elle avait combattu ses trois frères pour apprendre le maniement des armes à Cruachan, durant sa jeunesse ne pouvait pas être mieux mis en valeur par sa robe pourpre, brodée d'or. Ses cheveux étaient dénoués et encadraient son visage séduisant tandis qu'elle jouait de ses mains baguées sur une harpe joliment gravée.

 

-  Tout le monde ne peut pas être aussi sage que toi, chère sœur.

- Les dieux en soient remerciés, je ne partage qu'une partie de mon sang avec toi.

- Et pourtant, tu es aussi viciée que l'est l'eau croupie d'un étang.

 

Sa sœur hoqueta avec rage, attirant un rictus sur les lèvres de Medb qui continua de jouer, pas le moins du monde gênée. Que Mugain soit amoureuse de Conchobar, c'était son problème, en revanche qu'elle refuse de voir que celui-ci cherchait à briser Eithne, ça c'était quelque chose que la louve aux traits bien plus durs que ceux de ses sœurs n'était pas prête d'accepter.

Oh, elle ne détestait pas sa demi-sœur, comment l'aurait-elle pu ? Elle était son sang et devait souffrir de la situation aussi, bien que cela soit pour des raisons différentes.

 

- Que me vaut le chant courroucé de mes deux rossignols préférés ?

 

Est-ce qu'un rossignol pouvait crever des yeux ? Si oui, Medb se serait fait un plaisir d'arracher les deux prunelles d'un bleu éclatant de Conchobar, richement vêtu, qui s'approchait vers elles d'un pas nonchalant. A la place de mettre ses pensées à exécution, Medb sourit avec complaisance à son compagnon tandis que gracieusement, Mugain posait à côté d'elle son travail pour soupirer dramatiquement :

 

- J'essaye de faire comprendre à mon entêtée de demi-sœur qu'être reine c'est aussi une attitude.

 

Conchobar posa un regard blasé sur la louve soumise qu'était son aînée, mais malgré ce masque concerné qu'il affichait et qui plaisait à la blonde, Medb pouvait voir le profond désintérêt que cela produisait chez l'Alpha. Il se tourna alors vers elle, lui adressant un large sourire carnassier, le même qu'il avait affiché la veille lorsqu'il lui avait ordonné de se soumettre et de se dévêtir.

Il avait manqué d'y perdre un œil avant qu'elle ne puisse plus lutter contre l'ordre de l'Alpha. Il s'était bien venger par la suite, elle en frissonnait encore de dégoût. Son regard plein de désir lui donna envie de lui cracher au visage, mais lasse de conflits inutiles qui ne serviraient à rien d'autre qu'à la faire subir une guérison douloureuse, Medb ne lui renvoya que mépris.

 

Pas surpris, ni vexé, il reporta son attention sur Mugain et lui caressant doucement la joue, il parla d'une voix douce :

 

- Ma douce, si Eithne et toi êtes l'Amour, Medb est la Passion qui détruit tout autour d'elle.

 

Cela aurait pu sembler romantique. Cela aurait pu seulement car l'odeur de muguet de sa sœur fut soudain salie par les odeurs âcres de la colère. Oh oui, Conchobar savait exploiter les faiblesses de chacune et n'hésitait pas une seule seconde à encourager les conflits entre Mugain et sa cadette.

 

- Je me demande qu'elle est ce sentiment qui  te prend à l'estomac, prenant le cœur comme s'il se transformait en un cheval en plein galop dans la lande, électrifiant la peau... Commença à parler Medb avant même que sa raison lui dise de stopper.

 

Elle parlait fort, sa voix mélodieuse et un peu rauque parvenant aux oreilles de tout ceux situés dans cette cour, qu'ils soient humains ou non. Posant sa harpe sur le côté, ses pieds nus se mettant à danser sur la dalle froide de la pierre, le vent froid et humide de l'Automne soulevant ses mèches et caressant ses épaules dénudées, elle laissa glisser un doigt le long de la mâchoire de Conchobar tandis qu'elle le dépassait :

 

- Ah oui, je me souviens... Serait-ce le Dégoût ? Le même qui prend les tripes à la découverte d'une charogne abandonnée depuis des semaines. Oh oui, Conchobar, si je suis la Passion, toi tu es le Dégoût le plus profond.

 

Medb put littéralement sentir l'air écarter ses cheveux sur sa nuque tandis qu'elle s'attendait à être décapitée ou au minimum à avoir la tête à moitié arrachée. Le coup ne vint cependant jamais mais elle put sentir le parfum caché par l'odeur de pure rage de Conchobar et celle aigre de la peur de Mugain. Eithne se tenait entre l'Alpha et Medb, s'inclinant, les yeux baissés tandis que ses deux longues nattes d'un joli blond roux tapissaient le sol.

 

- Allons cher époux, ne me dîtes pas que les paroles insouciantes de Medb vous atteignent encore ?

 

Même si sa sœur le cachait merveilleusement bien, que cela soit dans son odeur ou son attitude, Medb savait qu'Eithne était terrifiée. Sa sœur avait peur qu'un jour, Conchobar la tue elle pour de bon. Car cela entraînerait une guerre entre l'Irlande et l'Ulster, une guerre où nombres de loups, d'humains, de faes et de sorciers périraient. Et à l'image de leur père, Eithne avait toujours rêvé à une paix définitive entre les meutes.

 

Conchobar s'était raidit, le visage indéchiffrable, Mugain s'était mise debout et avait reculé, ses instincts de louve soumise la poussant à s'éloigner au plus vite des trois dominants dont les loups étaient affolés.

 

Medb se tenait prêt à changer, si jamais Conchobar s'en prenait à sa sœur, elle savait qu'elle serait assez rapide pour le forcer à détourner son attention d'Eithne. Eithne qui était enceinte et n'avait jamais été capable de se battre, n'ayant aucun goût pour le sang.

 

Cependant, au plus grand soulagement des trois sœurs, Conchobar se souvint que depuis quelques semaines, Eithne portait son enfant. De par leurs loups respectifs, il était probable que cet enfant soit extrêmement puissant avec de parents aussi dominants. Il serait plus puissant qu'Amalgad, mais cela signifiait aussi que peut-être ainsi, Conchobar détournerait son attention du fils unique de Medb pour ne pas le rendre aussi pourri et tordu qu'il l'était.

 

Il posa une main tendre sur la tête baissée d'Eithne qui se redressa gracieusement. Des quatre, elle était de loin la plus belle, sa peau d'albâtre était parsemée de taches de rousseur, soulignant des yeux gris orages qui semblaient pétiller en continu. Enfin, cet éclat avait disparu depuis la disparition de Clothru, mais ça aussi, Medb préférait l'ignorer.

 

- Prends garde à toi, mon aimée, tu ne m'empêcheras pas de corriger Medb quand je le voudrais vraiment.

 

Eithne frissonna mais Medb qui se forçait à garder la tête haute malgré l'étalage de pouvoir que faisait soudain Conchobar ne put se retenir de frémir. Elle ne passerait pas une année de plus dans le palais. Sa raison n'y survivrait pas. Sauf qu'à choisir, elle préférait mourir en étant consciente de sa propre stupidité que dévorée par sa louve intérieure.

 

Raide, elle le vit la dépasser et ce ne fut que lorsque même son odeur ne fut plus présente dans la cour que la jeune louve se permit de se détendre. Avec agacement elle essuya ses mains couvertes de son propre sang, entamées par ses propres griffes qui avaient poussé par-dessus ses ongles sur le coup de la peur.

 

- Tu vas toutes nous faire tuer, imbécile.

 

C'était Mugain qui avait parlé, son regard gris perle fusillant Medb qui lui renvoya un rictus, mais alors qu'elle ouvrait la bouche pour souligner qu'elle aurait été décapitée avant que son aînée n'ait esquissé le moindre pas pour la défendre, Eithne leva une main lasse :

 

- Il suffit.

 

Mugain pinça les lèvres devant celle qui était son quasi reflet mais hocha la tête, s'asseyant dans un mouvement raide et reprenant son travail de brodeuse. C'était les réactions de la belle blonde, le silence et le mépris, c'était déjà le cas lorsqu'elles vivaient à Tara, au palais de leur père. 

 

Cependant, Medb ne put fuir car déjà Eithne venait de l'attraper par les bras, la forçant à la regarder dans les yeux. Son aînée était un peu plus grande qu'elle mais pas suffisamment pour que la louve ait besoin de réellement lever le nez pour croiser son regard. L'aura chaleureuse de sa sœur l'enveloppa et enfant, cela avait le pouvoir de calmer les plus grosses colères de Medb. Sauf que la jeune femme aux cheveux auburn n'était plus une enfant depuis bien, bien longtemps. Un grognement sourd lui échappa, tandis que sa sœur fronçait les sourcils, sa voix douce l'enveloppant par un réel souci, une inquiétude poignante en transpirant :

 

- Bon sang, tu es devenue suicidaire ou quoi ?! Il aurait pu te tuer !

- Et il aurait pu vous tuer vous aussi, toi et son rejeton, grogna-t-elle en se dégageant sèchement.

 

Medb aimait, du plus profondément de son cœur, sa sœur si douce. Sauf qu'elle savait que cet amour que lui portait Eithne la mettait en danger. Et c'est pour cela que Medb n'aurait pas hésité à s'arracher la langue si cela signifiait qu'Eithne arrêterait de chercher à la protéger de Conchobar. Sauf qu'aussi bien qu'elle savait que jamais elle ne serait capable de réellement regarder l'Alpha autrement qu'avec de la haine dans les yeux, elle savait que sa sœur ne cesserait de s'interposer. Parce que tant qu'Eithne n'était pas assez brisée au goût du mâle, il ne prendrait pas le temps de s'occuper de Medb.

 

- Pour la millième fois Eithne, cracha Medb ses traits se durcissant sous le coup de la colère qui suivait la peur qui l'avait pétrifiée, Pense un peu à toi et arrête de chercher à nous protéger. Mugain ne risque rien et moi, moi je choisis ce que je risque.

 

Sa sœur recula comme si elle l'avait frappé et le cœur de la jeune femme aux longues boucles auburn se serra lorsqu'elle vit à quel point elle avait blessé son aînée. Son masque froid vacilla, mais pour une fois, Mugain intervint dans l'échange :

 

- Eithne, ça me tue de le dire, mais Medb a raison. Si tu continues comme ça, tu seras un danger pour toi-même et ton enfant.

 

La fauteuse de trouble adressa un regard plein de reconnaissance à la jumelle d'Eithne qui se contenta de lui rendre un petit hochement de tête. Ni Mugain, ni Medb ne souhaitaient qu'Emain Macha, le palais de l'Ulster soit le tombeau d'Eithne. De toutes, c'était sans doute celle qui méritait le plus de s'en sortir.

Chapitre 2

Chapitre 2

A venir

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